Article 25: "Fly you fools"*

     Si vous en doutiez, elle n'a évidemment pas besoin de moi. Après une heure de trajet, nous voilà au centre commercial, où elle a retrouvé une amie. Elle parle donc Chinois depuis une heure, et ne se soucie pas de l'existence de la Française qu'elle a fait venir de l'autre bout du monde. Et rappelons que la Française en question, avait d'abord dit "non" quand Madame l'avait choisie, parce que la Française, elle s'était rendue compte de ce qu'elle était entrain de faire, et elle voulait vraiment aller en Angleterre cette année. Mais non, Madame l'a convaincue, parce que Madame la voulait Elle. Et maintenant, elle lui pourrit la vie. Si elle continue Madame, c'est elle qui va s'y retrouver à Londres, et sans toucher Terre! Non, je ne suis pas énervée du tout, qu'est ce qui vous fait croire ça? Vous remarquerez quand même que je soigne mon langage. À l'écrit, je reste le plus courtoise possible, mais Dieu sait que dans mon esprit, j'emploie des mots tellement élégants pour la qualifier, qu'ils ne sont pas dans le dictionnaire. Et tout ça, avec le sourire.

     Ginny essaie des robes toutes plus laides les unes que les autres, et malgré la gentillesse irréprochable de la mère à mon égard, je fais des petits commentaires agréables. Au lieu de dire "la moins moche, c'est celle-là," je dis "j'aime bien celle-ci". Dis donc, j'ai une idée, et si tu essayais d'être aimable pour voir, au lieu de me lancer des regards comme ça et de me parler sur ce ton? Mais sourions!

     Le temps passe. Sur le chemin du retour, je joue avec Ginny, on rigole, tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes... Elle est mignonne cette petite. Capricieuse, certes, mais elle est mignonne, je l'aime beaucoup. C'est pas de sa faute si elle a une mère aussi adorable.

     Comme aujourd'hui je ne devais pas m'occuper de Ginny durant la journée, je note les heures. Le petit diable sur mon épaule gauche me dit que je devrais lui compter le dîner au resto et le chemin du retour, qu'elle me fasse travailler en arrivant à la maison ou pas, parce qu'elle ne mérite pas qu'on enlève ça du temps de travail. Surtout quand je lui ai dit cent fois que je ne voulais manger ni gras ni épicé et qu'on a encore mangé très gras et très épicé et qu'elle a parlé Chinois et m'a totalement ignorée pendant plus de six heures, me faisant passer une journée merveilleuse. Mais, le petit ange sur mon épaule droite me dit que, si je ne travaille pas en arrivant à la maison, je ne lui compterais pas le dîner et le voyage de retour. Autrement dit, que malgré le fait qu'elle veuille encore me rajouter des heures, je lui en offre presque trois. Ce qui me connaissent bien savent que le petit ange gagne la plupart du temps. Dites, vous n'auriez pas un truc pour m'en débarrasser de celui-là? Parce que franchement, il n'est pas d'une grande aide...

     Peu importe (pour cette fois-ci en tous cas), la gentille Madame n'a pas de petit ange sur l'épaule droite. Il est 21h, j'ai commencé à 10h ce matin, je n'ai pas eu de pause, et en arrivant, elle me fait jouer à cache-cache. Je te rappelles, que j'étais prête à 7h30 pour accompagner ta fille à l'école ce matin. Ça te dérangerait de faire le calcul et de compatir à mon sort? Apparemment oui.

     Ah! Le moment de la journée que je préfère: la dernière demi-heure. C'est là qu'elle me prouve que je ferais mieux d'écorcher vif le petit ange de mon épaule droite. "Ne pense pas qu'on soit stupides, j'ai des caméras dans la maison et j'ai aussi les enregistrements audios." Attends une petite minute, tu as des caméras et tu trouves ça normal de ne pas en informer les gens qui vivent sous ton toit? "Et je sais que tu lui cries tout le temps dessus et que tu lui parles tout le temps en Français." Ah, donc tu n'as pas de caméras, tu m'as fait peur... Non, l'espace d'un instant, j'y ai cru, je te jures! Je suppose que c'était le but, donc tu dois être contente. Elle t'as jamais dit ta maman que c'était pas joli de mentir? Apparemment non. Tu fais ça tout le temps. Elle me provoque, cherchant à me faire sortir de mes gonds pendant une demi heure. Je réponds à ses attaques, toujours avec le sourire en lui disant que je ne veux pas me disputer avec elle. Quand elle comprend que ma patience semble sans limites (oui, je suis aussi étonnée que vous), elle reprend son téléphone qu'elle avait posé juste à côté de moi. Mais, dis-moi gentille personne, aurais-tu une application dictaphone? Aurais-tu essayé de me faire dire des choses que tu aurais retournées contre moi? Non, je n'ose le croire, ce n'est absolument pas ton genre. Ça ne fait absolument pas deux semaines que tu mens à la fille de l'agence à mon propos et tentes de me rendre folle. Tu es beaucoup trop respectueuse pour ça. En tous cas, je suis sûre que tu es plus respectueuse que les qualificatifs qui traversent mon esprit en ce moment et te sont destinés.

     Le temps passe. En mettant Ginny au lit, elle me demande si je peux lui rendre la clé demain en rentrant de l'école, elle veut la prêter à quelqu'un. "Oui, bien sûr. Bonne nuit, à demain." Et toujours mon sourire. Celui là, il faudra que je pense à le pulvériser en même temps que l'ange de mon épaule droite.

     Ai-je besoin de vous préciser qu'après cette journée enchantée, je suis comblée. Pas de la journée, non, de la fin de la journée, j'ai un peu de temps pour moi. Pas beaucoup, il est 22h30, il faudra penser à dormir un jour. Mais j'ai quand même un peu de temps pour moi.

     Le temps passe. Il est 23h. Je reçois un texto d'Alex. "Fais tes valises, il faut que tu partes demain matin. Viens à l'agence, n'oublie rien surtout."

     Le temps s'arrête. C'est une blague!?

La partie que j'ai nommée"plus inutile tu meurs": Je suis désolée, je ne crois pas vous avoir déjà parlé d'un truc aussi stupide. Seulement, je suis tombée dessus en faisant mes valises, et ça m'a fait rire de désespoir, alors je me suis dis que je devrais vous en parler. Juste pour vous prouver que ma chance est sans limites. J'ai changé les piles de deux montres... quoi? Une semaine avant de partir? En tous cas pas plus, c'est certain. Comme j'en avais donc deux d'utilisables, j'ai hésité avant de partir: laquelle je prends? La simple? La petite bordée de diamants**? Les deux? Bref, vous vous imaginez bien la question existentielle... C'est tout moi ça, y'a pas de problèmes, créons-en. D'aucuns appelleraient ça du masochisme. Je suis vraiment torturée. Mon esprit de fashion-victim me susurre de prendre la simple. Elle va avec tout: un jean, une robe, un jogging, rien du tout... Bref, elle est parfaite. À ceci près, qu'elle n'est pas arrivée en Chine en vie: elle s'est arrêtée à 3h du matin dans l'avion. Heureusement que Dieu a créé les téléphones portables. Sans son génie et le savoir faire des petits Chinois, je n'aurais pas l'heure...

*"Fuyez pauvres fous", Gandalf (Ian McKellen), Le Seigneur des anneaux: La Communauté de l'anneau.

**En plastique les diamants, entendons-nous, c'est pas des vrais, ça y ressemble, c'est tout. Mais ça fait quand même classe.